Pendant des décennies, les gardiennes et gardiens de chiens ont entendu parler de la nécessité de «dominer» leur animal pour éviter les comportements indésirables. Cette idée repose sur le mythe selon lequel les chiens, descendants des loups, auraient un besoin inné de grimper les échelons d’une hiérarchie sociale rigide. Pourtant, les études modernes en comportement animal montrent que cette croyance est non seulement dépassée, mais aussi potentiellement nuisible à la relation que nous entretenons avec nos compagnons à quatre pattes.

L’origine de ce mythe remonte à une étude menée dans les années 1940 par le chercheur Rudolf Schenkel, qui a observé le comportement de loups en captivité. Ses conclusions ont popularisé la théorie du «dominant-alpha», selon laquelle les loups lutteraient pour établir une hiérarchie stricte au sein de la meute. Toutefois, des recherches plus récentes, notamment celles de David Mech, ont réfuté cette idée. Mech a démontré que les comportements observés étaient dus aux conditions artificielles de captivité. Dans la nature, les loups vivent plutôt en groupes familiaux, où les liens sociaux et la collaboration sont essentiels à la survie de tous les membres du groupe.

Il est important de comprendre que le chien domestique, bien que descendant du loup, a évolué aux côtés des humains depuis des milliers d’années. Comparer leurs comportements à ceux des loups sauvages est donc une erreur. Pourtant, le mythe persiste et influence malheureusement encore les méthodes d’éducation canine.

Alors, pourquoi ce mythe persiste-t-il dans le monde du chien domestique? La réponse se trouve dans notre tendance à interpréter leurs comportements selon des schémas humains ou à rechercher des explications simplistes. Par exemple, lorsqu’un chien grogne ou protège une ressource, certains le perçoivent comme une tentative de prendre le contrôle. Or, ces comportements sont souvent des expressions de stress, d’incompréhension ou de peur.

Un chien qui chevauche un autre chien, un coussin ou même une personne est souvent perçu comme cherchant à dominer. Cependant, ce comportement peut avoir plusieurs significations selon le contexte: excitation, stress, tentative de désamorcer une situation tendue, apaisement ou simple jeu. Par exemple, Max, un golden retriever, chevauche souvent les autres chiens au parc. Après observation, son gardien a remarqué que ce comportement se manifeste principalement lorsque Max est nerveux ou stressé. Lui offrir des pauses et des moments de calme permet de réduire ces épisodes.

Tirer en laisse est fréquemment interprété comme un signe que le chien veut prendre le contrôle de la promenade. En réalité, la plupart des chiens tirent parce qu’ils se sont auto-renforcés dans leur comportement. Plus le chien tire pour atteindre ce qu’il désire (endroit à renifler, objet ou congénère), plus il est récompensé en obtenant ce qu’il veut, ce qui renforce encore davantage son comportement. Par exemple, Bella, une jeune husky, tirait constamment en laisse, ce qui agaçait sa propriétaire, qui pensait qu’elle cherchait à «prendre le dessus». Après avoir introduit des exercices de marche en laisse détendue et utilisé des renforcements positifs, Bella a appris à marcher calmement en laisse.

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Lorsqu’un chien grogne ou montre les dents lorsqu’on s’approche de sa gamelle, certains propriétaires y voient un acte de défi. En réalité, ce comportement traduit une insécurité liée à la ressource. Rex, un berger allemand adopté dans un refuge, grognait systématiquement lorsqu’on s’approchait de sa nourriture. Après un travail progressif de désensibilisation, de renforcement positif et de patience pour montrer à Rex qu’il ne perdait rien à laisser les humains s’approcher, le chien s’est enfin détendu pendant ses repas et il a même arrêté de gober sa nourriture si rapidement qu’il devait ensuite vomir.

L’agressivité est souvent perçue comme un signe que le chien veut s’imposer ou contrôler son environnement. Mais l’agressivité est avant tout une réponse émotionnelle à une situation perçue comme menaçante. Léo, un petit terrier, montrait les dents dès que des inconnus entraient chez lui. Plutôt que de le punir, ses gardiens ont travaillé sur la gestion des émotions de Léo, en mettant en place des exercices d’auto-contrôles et en le récompensant lorsqu’il restait calme en présence de visiteurs.

Un chien qui saute sur les gens est souvent vu comme cherchant à imposer sa présence et franchement ce n’est pas perçu de façon positive par tout le monde. Qui a envie de se faire sauter dessus par un chien qui a les pattes sales? En réalité, il s’agit généralement d’un comportement d’excitation et/ou d’une manière de chercher l’attention. Luna, une labrador, sautait sur tous les invités dès leur arrivée chez elle. En apprenant à ses gardiens à mieux gérer l’arrivée des invités et en mettant en place des exercices simples pour lui apprendre à mieux gérer ses émotions, Luna a rapidement compris qu’il fallait qu’elle garde ses quatre pattes au sol et le comportement a progressivement disparu.

Les méthodes coercitives peuvent nuire à la confiance du chien envers son humain et provoquer des réactions émotionnelles exacerbées. Au lieu de chercher à «dominer», il est bien plus efficace d’apprendre à lire les signaux de communication de nos chiens. Les chiens expriment une palette d’émotions et de besoins par des postures corporelles et des signaux de communication.

Prenons l’exemple d’un chien qui grogne lorsque quelqu’un s’approche de sa gamelle. Interpréter cela comme un acte de défi revient à ignorer le message important qu’il essaie de transmettre: il a peur de perdre ce qui lui est cher et cherche à protéger sa ressource. Réagir en punissant ne fait que renforcer son sentiment d’insécurité et risque de déclencher un accident si un jour un inconnu ou un enfant s’approche de la gamelle alors que le gardien a les yeux tournés. À l’inverse, reconnaître ce comportement comme une forme de communication permet d’adopter une approche respectueuse et bienveillante.

La punition peut également aggraver des comportements problématiques, notamment les grognements, les aboiements ou les morsures. Un chien puni pour avoir grogné pourrait, par exemple, cesser de donner cet avertissement et passer directement à des comportements plus agressifs, faute de pouvoir s’exprimer autrement.

Le travail des professionnels du comportement moderne met l’accent sur la gestion émotionnelle et l’éducation positive. En comprenant que nos chiens sont des êtres émotionnels, et non des individus motivés par le pouvoir, nous pouvons construire une relation fondée sur la confiance et la coopération. Lire son chien, c’est apprendre à reconnaître ses signaux de confort et d’inconfort, à anticiper ses besoins et à l’accompagner dans un cadre sécurisant.

Par exemple, un chien qui détourne le regard ou se lèche les babines peut montrer des signes de stress ou d’inconfort. Savoir repérer ces signaux permet de désamorcer des situations avant qu’elles ne dégénèrent. Il est essentiel de respecter ces signaux et de ne pas forcer un chien à rester dans une situation qui le met mal à l’aise.

En prenant le temps de comprendre les signaux de communication de nos chiens, nous leur permettons de s’exprimer sans crainte de réprimande. Cette approche renforce le lien de confiance et encourage les comportements coopératifs.

Un chien qui se sent écouté et compris est plus à même de répondre aux attentes de son humain. Il est également moins susceptible de développer des comportements problématiques liés à la peur, à l’anxiété ou à la frustration. L’éducation positive et bienveillante, basée sur le respect des besoins émotionnels du chien, est donc une méthode bien plus efficace au long terme que les techniques coercitives.